Je vous livre ici le premier article d'une série consacrée aux formes langagières de l'argot français.
Le verlan est une forme de langage crypté argotique qui consiste à inverser l'ordre des syllabes d'un mot ou à inverser des mots dans une expression voire parfois à inverser l’ordre des lettres d’un mot (inversion graphique).
Selon le dictionnaire de l’argot (Colin & Mével, Larousse, 1994), le verlan trouverait ses origines dans le roman d’Auguste Le Breton "Du rififi chez les hommes" paru en 1954. Il était alors orthographié "verlen" ou "vers-l’en" pour s’imposer par la suite avec l’orthographe actuelle "verlan". Cependant on peut trouver des exemples d'emploi du verlan dans la littérature du XVIe siècle. Le verlan s’est véritablement popularisé dans les années 70-80 grâce notamment aux chansons de Renaud et son célèbre "Laisse béton" (laisse tomber) et aussi aux bandes dessinées dites branchées de la même époque comme celles Tramber et Jano avec Kébra chope les boules (1982), Le zonard des étoiles (1982), Kebra Krado Komix (1985)… Les personnages de ces BD évoluent dans l'univers de la banlieue où l'argot moderne et le verlan sont omniprésents.
Le cinéma français de l'époque illustre aussi le phénomène comme avec le film de Claude Zidi Les ripoux sorti en 1984.
« Dites donc, ça veut dire quoi ripou ?
— Ah tu connais pas le verlan ? Tu inverses les syllabes des mots. Ripou pourri, pourri ripou.
— Ah oui, oui, oui...
— Tu comprends biledé, par exemple ?
— Biledé... Dé... Débile !
— Voilà, tu y es mon petit bonhomme ! »
Le terme ripou étant le verlan de pourri et désignant dans le film deux policiers corrompus est devenu tellement populaire via la médiation du milieu journalistique qu'il est passé officiellement avec ce sens dans la langue française.
Dans le film d'Hervé Palud Les frères Pétard (1986), il s'agit de deux jeunes désœuvrés Momo (joué par Jacques Villeret) et Manu (joué par Gérard Lanvin) qui se lancent dans le trafic du haschisch. Là encore les dialogues sont pigmentés de nombreux mots en verlan comme chetron verlan de tronche ou beu qui est l'apocope de beuhère lui-même verlan de herbe.
« Bon arrête, arrête ! On fait le même business !
— Quel business ?
— Arrête ! Ho ! Dans deux minutes la douane va s'pointer !
— Et alors ?
— Qu'est-ce que vous passez dans vos statues ? De la beu ?
— De la beu ?…
— Ho ! Arrête ! Ho ! Hé ! De l'herbe ! »
L’arrivée du rap français à la fin des années 80, début 90 a véritablement systématisé l’emploi du verlan chez les jeunes issus des cités de banlieue en y introduisant certaines nouveautés comme l’emploi des mots monosyllabiques de type Consonne-Voyelle (pas → ap, vie → ive, là → al...) et le verlan du verlan aussi appelé veul (keuf → feukeu, beur → rebeu, meuf → feumeu…). Aujourd’hui son emploi s’est tellement généralisé que certaines personnes ne savent même plus qu’elles emploient des mots verlans ou sont incapables d’en retrouver la racine.
Malgré l’apparente simplicité de cette forme argotique (bien plus simple en effet que le louchébem, argot des bouchers), la compréhension du verlan devient très vite hermétique pour les non-initiés tant le procédé peut se compliquer par l’usage de l’apocope (suppression de syllabe en fin de mot : teillebou → teille), la reverlanisation (femeu pour meuf verlan de femme) et autre suppression de voyelles mais aussi la verlanisation de l’argot classique (zeillo pour oseille) ou de mots étrangers (deblé pour bled).
A moins d’avoir vécu en anachorète pendant plus de 30 ans dans un monastère sur les hauteurs de l’Himalaya, peu de gens ignorent, tant il est à présent répandu, la manière dont on forme un mot en verlan. Cependant, pour être complet, il convient de le rappeler dans cet article. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le verlan obéit à certaines règles même si celles-ci ne sont pas figées et tendent à évoluer avec le temps et les générations. S’il est théoriquement possible de tout verlaniser, il s’avère, dans la pratique, qu’il n’en ait rien. Car même si le verlan est avant tout un moyen de communication crypté permettant de communiquer entre individus du même clan, il est rare que tous les mots d'une phrase soient verlanisés. Sont généralement privilégiés les mots d'usage courant, ceux liés aux trafics illicites ou encore ceux traitant de sexualité... Par ailleurs, comme tout langage, il subit l'influence des modes et des particularités géographiques. Pour former un mot en verlan, il convient de trier les mots en trois catégories dont voici le détail par ordre de difficulté.
Quelque soit la catégorie, il est à noter qu’étant avant tout un langage parlé, l’écriture des mots verlans est purement arbitraire même si les règles très obscures de l’orthographe française peuvent s’appliquer. Par exemple il conviendra d’écrire asse pour le verlan de ça plutôt que aç et keuf pour le verlan de flic plutôt que quef ou queuf. Cependant, certaines variantes d’écriture sont tolérées, comme pour oim et wham verlan de moi ou bien caillera et kaïra pour le verlan de racaille.
Le mot est scindé en deux au niveau de ses syllabes, ensuite les deux syllabes sont inversées. Le résultat obtenu est le mot en verlan.
Exemples :
Problème → pro-blème → blème-pro → blèmepro
Bouteille → bou-teille → teille-bou → teillebou
Méchant → mé-chant → chan-mé → chanmé
Gentil → gen-til → til-gen → tigen
Choper → cho-per → per- cho → pécho
Il faut considérer deux catégories de mots monosyllabiques :
- les mots dont la construction est du type Consonne1-Voyelle-Consonne2 finissant ou non par un e muet. Le mot est alors verlanisé en ajoutant un e en fin de mot ce qui le rend dissyllabique puis en appliquant la méthode décrite pour les mots dissyllabiques. A noter qu’il est généralement constaté que le mot final est contracté par une apocope.
Exemples :
Femme → fe-mme → mme-f-e → meuf
Mec → mé-ke → ke-mé -> keumé → keum
Frère → frè-re → re-frè → reufré → reuf
- les mots dont la construction est du type Consonne-Voyelle. Le mot est alors verlanisé en inversant l’ordre Voyelle-Consonne.
Exemples :
Vie → i-v → ive
Ça → a-ç → asse
Pas → a-p → ap
Moi → oi-m → oim
Les mots de plus de deux syllabes sont contractés en deux syllabes quand ils sont verlanisés. Généralement la dernière syllabe est conservée, les autres subissant une contraction ou une suppression de voyelles.
Exemples :
Eclaté → é-cla-té → té-cla-é → técla
Déguisé → dé-gui-sé → dé-guise → guise-dé → kisdé (policier en civil)
Défoncé → dé-fon-cé → dé-fonce → fonce-dé → foncedé
Le fameux blessipo (possible) d’une célèbre réclame de la SNCF dans les années 80 est bien-sûr dans ce contexte une aberration des plus risibles.
L'argot étant un langage qui tend à simplifier la grammaire, le verlan n'échappe pas à la règle. Aussi les verbes verlanisés deviennent le plus souvent invariables. Exemple : Le verbe choper donne pécho en verlan et se conjugue comme suit : Je, tu, il, ils, on pécho Le nous est généralement remplacé par on ou employé au passé composé. Nous avons pécho, vous avez pécho Cependant il existe quelques verbes verlanisés qui peuvent être à la fois invariables et conjugués selon la personne et le temps. Exemple : Niquer donne kène (invariable) et kéner qui se conjugue comme un verbe du premier groupe.
Le langage argotique étant à la base un langage crypté, il convient entre personne du même monde de contracter les mots pour les rendre moins accessibles aux autres et augmenter par la même le débit et la quantité d’information en un minimum de syllabe. Par ailleurs la présence conséquente de la population maghrébine dans les banlieues et l’usage de la langue arabe qui ne comprend que des consonnes peuvent aussi expliquer la suppression des voyelles à la fin des mots verlans.
Exemples :
Flic → keufli → keuf
Mère → Reumé → Reum
Frère → Refré → Reuf
Cousin → Zincou → Zinc
Problème → blèmepro → blème
Métro → tromé → trom
Bite → teubi → teub
Certaines locutions et expressions peuvent être verlanisées.
Exemples :
Comme ça → ça comme
N’importe quoi → Portenawaque
Ce soir → Soirce
Vas-y → Zyva
Les mots constituant l’expression peuvent aussi être verlanisés en plus de l’inversion des mots.
Exemples :
Comme ça → ça comme → asse comme → asmeuk
dix sacs → dix keusses → keussdi
Le verlan peut être aussi verlanisé. Cette double verlanisation est aussi appelée veul terme formé à partir du verlan de l’envers (l’envers → l’enve → veulen → veul).
Exemples :
Keuf → feukeu
Meuf → feumeu devient feum si on applique l’apocope.
Beur → reubeu
Certains mots verlans sont directement issus de l’inversion graphique du sens d’écriture et non plus du sens des syllabes.
Exemples :
Nez → zen, técrot zen (crotte de nez)
Cul → luc, film de luc (film de cul)
A fond → A donf
Certains mots lorsqu'ils sont verlanisés peuvent prendre plusieurs formes différentes.
Exemples :
Chinois donne en verlan noich et nawach.
Couilles donne en verlan yecou et yoc.
Ces dernières années on a pu observer une autre forme de construction de verlan qui consiste à verlaniser la deuxième syllabe d'un mot verlan dissyllabique, un peu comme sur le modèle des expressions ou des locutions verlanisées.
Exemples :
Choper → pécho → péauche
Sucer → césu → céhusse
Le Dictionnaire de la Zone contient plus de 260 termes verlans, voici un petit lexique qui synthétise son contenu.
AnDroKtoNe il y a 12 ans
Merci pour ce "cours" intéressant.
C'est marrant je connais ou plutôt je comprends quasiment tous les mots naturellement :)