Dorénavant, je vais m’efforcer de revenir sur toutes les interventions que je serais amené à faire dans les médias, cela afin d'analyser, d’approfondir et de reformuler mon discours qui, du fait du stress et de la brièveté des échanges souvent décousus, a peut-être un peu de mal à être compris.
Mercredi 25 janvier 2017 vers 11H, je suis contacté par RMC pour participer à une émission animée par Roseline Bachelot de 15H à 16H. Le thème était : « La langue française est-elle en péril ? » On m’explique que je dois apporter la contradiction à un invité qui a écrit un livre traitant de ce sujet.
Je ne suis pas particulièrement à l’aise avec les médias radio et télé comme je l’ai expliqué, ayant subi quelques déconvenues notamment avec Ruquier dans son émission débile pour abrutis dont je ne me souviens plus du nom. Enfin, bref, j’accepte de participer à cette émission me disant que je pourrais peut-être parler de mon dictionnaire : « Tout l’argot des banlieues ».
L’émission commence à 15H et je suis contacté vers 15H07. Voici l’extrait de l'émission qui concerne le sujet de l’émission et mon intervention.
A noter que je n’avais pas entendu le début de l’intervention de Roseline Bachelot pour introduire son émission, introduction dans laquelle elle fait le constat de la dégradation de la langue française qui se manifeste dans les médias, chez les hommes publics et à l’école.
Philippe Bilger, né en 1943 à Metz est un magistrat français. Il est invité dans l’émission pour son livre « La parole, rien qu’elle »
Voici comment est présenté le livre sur la page de l’éditeur :
Mon seul recours, mon seul secours.
Maîtrisant médiocrement les arts sociaux, voire inapte à la plupart, j’ai toujours perçu la parole comme l’unique alliée dont je pouvais disposer. De sorte qu’une fois compris ces manques et cette chance, je n’ai pas cessé de réfléchir sur elle, sa puissance, la preuve d’existence qu’elle procure, le pouvoir qu’elle donne, ses ambiguïtés aussi. Ce superbe et dangereux outil humain.
Je l’ai toujours vécue comme une tension entre le rêve de sa plénitude et la réalité, trop souvent, sinon de son infirmité du moins de ses limites. Ce livre a tenté de la suivre à la trace dans tous les registres où j’en ai usé.
À la cour d’assises, dans ma vie professionnelle, dans l’univers extra judiciaire, colloques, interventions, prestations médiatiques, dans ma passion de former les autres à cet outil humain fondamental, à mon perfectionnement.
Avec l’émotion de deviner en soi un capital hérité d’un père discuté et trop peu connu.
Avec le sentiment que tout mon être est articulé sur ce splendide moyen de communiquer avec autrui et que sans lui on ne serait plus rien ni personne.
La parole parce qu’on n’a qu’elle.
P. B.
Magistrat honoraire, président de l’Institut de la parole, Philippe Bilger a été plus de vingt ans avocat général à la Cour d’assises de Paris. Auteur de nombreux ouvrages, très présent dans le débat public, il tient le blog Justice au singulier :
Le sujet du livre, selon moi n’est pas vraiment en adéquation avec le sujet de l’émission d'une part et d'autre part, je ne suis pas vraiment en désaccord avec son discours. Mais comme je suis censé apporter la contradiction dans l'émission, je feins l'opposition.
N’étant pas magistrat et loin d’être à l’aise devant les médias et qui plus est au téléphone, je m’emmêle un peu les pédales. Comme le dit très justement Philippe Bilger, parler en même temps qu’on élabore sa pensée est devenu pour certains dont moi, un exercice difficile. Hormis le stress de parler en public, le fait que le sujet soit vaste génère un grand nombre d’idées qu’il m’est difficile d’ordonnée en temps réel.
C’est pourquoi, je reprends point par point les idées que j’ai évoqué afin d’éclaircir mes propos.
Je commence mon intervention en parlant de l'évolution de la langue française.
La langue française est une langue vivante. Elle ne s’est pas faite du jour au lendemain mais elle est le fruit d’une évolution. Elle découle du latin et des langues qui préexistaient sur le territoire français puis s’est enrichie au cours du temps, profitant des apports de langues étrangères et du français populaire voire de l’argot.
Quant aux fautes de français, il faut distinguer celles commises à l’oral et celles commises à l’écrit. L’orthographe est truffée de pièges ce qui réserve à une élite le privilège de la maitriser complètement. La grammaire est complexe, un certain nombre de temps n’est plus utilisé dans la langue parlée voire parfois écrite. L’évolution répond à un mécanisme naturel et la nature ne s’encombre pas des choses inutiles ou des choses dont elle pourrait se passer. Aussi, les tournures désuètes ou obsolètes disparaissent de la langue, c’est un constat.
J'introduis l'idée de jeunisme pour expliquer en partie la dégradation du langage.
Dans la mouvance des années 80, les médias se sont adaptés à un public jeune. La branchitude est devenue le mode d’expression des animateurs de télé et de leurs extensions que sont les journalistes et dans une certaine mesure des hommes politiques[1]. Aujourd’hui, ce qui illustre le mieux ce phénomène de jeunisme et l’explosion de la communication au travers des réseaux sociaux ; la réduction de la pensée telle que l’évoquait Philippe Bilger atteignant son paroxysme avec Twitter qui limite le nombre de caractères pour exprimer son opinion. Le jeunisme dans le discours des hommes politiques qui s'apparente à de la démagogie, ainsi que l'emploi des médias modernes que sont les réseaux sociaux et l'Internet, a pour but de donner l'impression qu'ils sont proches du peuple et qu'ils sont novateurs[2].
Philippe Bilger parle de la réduction de la pensée par la réduction du langage. Cette idée est puisée dans l'œuvre de Georges Orwell.
Réduire la pensée en réduisant le langage. Ce thème est abordé dans la dystopie (encore un anglicisme) de Georges Orwell « 1984 »[3] dont j’ai fait référence.
Mais la réduction du vocabulaire n’est pas le seul phénomène inquiétant observé dans notre société. Selon moi, l’inversion du sens des mots et des valeurs associées est bien plus dangereuse.
Si je voulais faire la caricature de notre société à la manière d’un roman d’anticipation, je dirais que la société nous destine à deux fonctions pour lesquelles elle nous éduque depuis le plus jeune âge : la fonction de producteur et celle de consommateur. Elle forme des gens assez intelligents techniquement pour assurer des tâches très pointues, concevoir des machines complexes, maitriser des sujets d’un haut niveau scientifique et technique et en revanche, ces mêmes producteurs doivent être assez stupides pour se soumettre à une consommation passive et absurde.
L’appauvrissement du langage quotidien qui mène à des pensées et des réflexions complexes est donc un outil qui permet de contrôler les populations. De même, le bouleversement logique du sens des mots comme faire admettre que la guerre c’est la paix, la soumission c’est la sécurité, la mort c’est la vie[4]… empêche toute forme d’esprit critique[5].
L'intervention d'un auditeur recentre le débat sur la dégradation du langage caractérisé par les fautes de français.
Parlé de dégradation de la langue française en prenant comme exemple le langage parlé ou le langage populaire est pour moi un procédé sans valeur. De tout temps et dans toutes les langues, les hommes du quotidien ont simplifié, contracté ou dénaturé la langue et ce, le plus souvent pour des raisons pratiques : transmettre une information qui soit compréhensible de manière claire et rapide. Crier au meurtre de la langue quand les gens font des élisions ou supprime le « ne » de la négation est donc exagéré. En revanche quand un journaliste ne fait pas de manière quasi systématique l’accord avec l’auxiliaire avoir quand le COD est placé avant le verbe est dans ce cas moins pardonnable, car il s’agit théoriquement d’un média officiel chargé de transmettre l’information et ce, dans un français académique irréprochable… Ces fautes de français généralisées peuvent trouver leur cause dans ce que j’ai appelé plus haut de « jeunisme », qui peut même être taxé de « populisme » dans ce cas et qui illustre peut-être la volonté de rendre les médias plus proche des gens ordinaires…
Par ailleurs, j'ai évoqué le fait que jusqu'au milieu du XXe siècle, la langue maternelle d'une majorité de français n'était pas le français mais les patois régionaux. Le français était enseigné à l'école mais les gens entre eux ne parlaient pas le français à proprement parlé. La langue nationale ne s'est finalement imposée que grâce à l'école (dite laïque et républicaine), de la radio et de la télévision. Il reste encore quelques régions qui résistent notamment la Corse et les Antilles qui ont leur propre langue.
Roseline Bachelot parle de la possibilité de reprendre du vieux français pour enrichir la langue actuelle. C'est ce que j'appelle le recyclage.
Le recyclage existe aussi dans la langue et particulièrement dans l’argot. Aussi, de vieux mots français sont repris et remis au goût du jour aussi bien dans le français classique que dans l’argot.
J’ai cité :
bastonner « battre, frapper », issu d’un ancien mot français signifiant « donner
des coups de bâton ».
moyen de moyenner « possibilité d’aboutir à un résultat positif », expression datant du XVIIe siècle sous la forme négative il n’y a pas moyen de moyenner « il n’y a rien à faire ».
Mais aussi :
s’empiffrer « manger avec excès », issu d’un mot datant du xviie siècle qui signifiait « se bourrer de nourriture ».
entraver « comprendre », issu de l’ancien verbe enterver « interroger ».
La dernière intervention traite du rap et des rappeurs.
Il est devenu de plus en plus systématique de parler de rap quand on aborde le sujet de la langue française. Il est vrai que mon dictionnaire est en grande partie constitué d’exemples puisés dans ce registre, mais justement parce que le rap puise dans le langage argotique, populaire et vulgaire. En revanche, prendre comme exemple des rappeurs pour illustrer le bon usage de la langue française est, selon moi, une aberration. Le rap, comme toutes les musiques populaires, est et restera de la sous-culture. Qu’on site Victor Hugo, Honoré de Balzac ou Marcel Proust me semble des exemples plus judicieux. MC Solaar comme Serges Gainsbourg ne pourront jamais égaler un Paul Verlaine ou un Arthur Rimbaud et ce, même en faisant des références dans des textes de chansons[6]. Aussi, entendre une ancienne ministre s'extasiait devant des rappeurs comme Nekfeu ou Youssoupha a de quoi me laisser perplexe…
Selon moi, la particularité du rap, c'est qu'il s'inscrit dans la quotidienneté (comme dirait Philippe Bilger), il met en parole le vécu (souvent phantasmé) d'une certaine catégorie de population : les jeunes issus des quartiers pauvres des cités dortoirs[7]. Il n'a pas pour vocation d'être un vecteur de la langue française, simplement un moyen de palier aux frustrations que subissent ces populations[8].
En conclusion, mon intervention sur RMC n'a pas été à la hauteur de mes espérances. J'ai quand même pu placer le titre de mon livre au début de l'émission mais n'ai pas pu parler de mon site. Les thèmes abordés dans cette première partie de l'émission, bien que n'ayant que peu de rapport avec le livre de l'invité, auraient pu être un peu plus développés mais les rares interventions que j'ai pu faire n'ont pas été reprises pour rebondir dans le débat (pour ne pas dire qu'elles ont été enterrées par l'animatrice) ; je pense à l'idée de jeunisme[9], ma référence à Georges Orwell, mes exemples sur les vieux mots français repris dans l'argot... C'est pourquoi, je choisis de refaire le match et de reprendre les idées que j'évoque dans ce billet, ce que, dorénavant, je m'efforcerai de faire pour chacune de mes interventions médiatisées.